Les portes s’ouvrirent, et Antigone Dirceval, submergée par l’anxiété, entra dans ce qui devait devenir son lieu d’étude et de logis.
Si toutefois elle était acceptée.
Un homme, peut-être un professeur, ouvrit les portes d’une salle immense. A cet instant, la cohorte des élèves de première année s’avança, déplaçant de force la pauvre Antigone.
Antigone, d’ailleurs, un nom assez original de nos jours, mais que, après avoir lu l’œuvre de Sophocle, elle avait fini par accepter, et appréciait en vérité beaucoup. Non qu’elle ait le caractère de l’héroïne grecque, mais elle se plaisait parfois à l’imaginer.
Sa mère, professeur de français ainsi que son père, qui était lui cavalier professionnel, mais lecteur assidu, lui avaient transmis, ne serait-ce que par son prénom, leur passion pour la littérature.
Antigone fut sortie de ses pensées par une voix qui appelait tour à tour chacun des élèves.
Ceux-ci se plaçaient alors devant un miroir qui venait d’apparaître au milieu de la salle, et qui énonçait ensuite leurs traits de caractère – Antigone ne put s’empêcher d’avoir des doutes quant à la véracité de ce « tour de magie ». Le miroir informait ensuite l’élève de la maison dans laquelle il serait envoyé, sous les hourras des élèves des autres années, assis à l’une ou l’autre des tables que l’on voyait dans la salle. Il y avait dans la salle quatre tables, une pour les élèves de chacune des trois maisons, et une autre pour les professeurs.
Elle regarda les quelques élèves qui la précédaient se diriger vers les tables de leur maison respective.
Puis elle entendit son nom.
-Antigone Dirceval !
Elle avança vers le miroir, comme hypnotisée, et repensant à son enfance, à tout ce long chemin qui l’avait mené jusqu’ici, jusqu’à ce jour où se jouerait sa vie.
On lui avait souvent parlé de sa petite enfance, cette enfance tranquille et heureuse dans une petite maison de Normandie, au milieu de sa famille, ses deux parents, Eric et Myriam, et sa sœur d’un an son aînée, Anna.
Jusqu’à ce qu’elle ait huit ans, ils avaient vécu, d’une vie simple et heureuse, au milieu des chevaux de son père et des livres de sa mère. Elle et sa sœur, passionnée d’équitation, participaient à quelques concours, entraînés par leur père.
Cette enfance n’était hélas plus qu’un souvenir, et sa vie s’était bien vite assombrie.
En 1996, un jour qu’Eric participait à une compétition importante, son cheval pila devant l’obstacle, et le cavalier chuta lourdement. Il fut gravement blessé, et ne devait jamais plus marcher, ni monter à cheval.
Il devait rester à jamais cloué à un fauteuil roulant. Il tenta plusieurs fois de se suicider, car il ne voulait pas devenir une charge pour la famille, et car la vie sans ses chevaux lui paraissait inconcevable.
Mais ses tentatives furent contrecarrées, et il devint l’entraîneur de ses filles.
Si Anna progressait sans cesse, ne rêvant que de compétitions mondiales, Antigone, bien que passionnée, préférait les promenades, et passait davantage de temps dans ses livres.
Elle avait l’impression que cette vie qu’on lui proposait n’était pas faite pour elle. Elle détestait la compétition constante, et surtout cette joie qu’éprouvait chaque cavalier quant les barres des autres tombaient, ainsi que cette constante quête de gloire et de succès.
L’emploi qu’on faisait des chevaux, de ces animaux qu’elle aimait tant, la dégoûtait. Comment un animal si noble pouvait-il être utilisé comme simple moyen d’obtenir gloire et argent par ces hommes et femmes qui se disaient cavaliers ?
Enfin, un jour, la veille de ses onze ans, arriva l’Evénement qu’elle attendait sans le savoir depuis toujours.
Un hibou, un hibou blanc comme la neige, fondit sur elle alors qu’elle se promenait dans la campagne avec Hirondelle, sa jeune jument.
Il tenait dans ses serres une enveloppe, qu’il lui tendit. Elle la prit, la main tremblante, et l’ouvrit, et ses yeux s’arrondirent d’étonnement, tout d’abord, puis de joie.
De retour à la maison, elle montra, heureuse, la lettre qui l’informait de son acceptation à l’école de sorcellerie de Beauxbâtons à ses parents incrédules.
Ils eurent du mal à accepter cette idée, mais finirent par accepter de l’envoyer dans cette école, si c’était vraiment cela qu’elle voulait.
Et la voilà qui se retrouvait maintenant, dans la Grande Salle de l’école, prête à savoir dans quelle maison elle pourrait aller... Et si le hibou s’était trompé de destinataire, et qu’elle n’était pas du tout sorcière ? Elle respira un grand coup. Cela, elle ne le saurait qu’en allant de l’avant.
Elle avança donc vers le miroir, et une voix retentit soudain :
- Mademoiselle... Hmm.. Oui... Je vois des qualités en vous... Vous êtes une jeune fille pleine de vie, travailleuse et perfectionniste. Très intelligente aussi, et vous savez en tirer profit.
Vous êtes indépendante et ambitieuse, prête à tout pour parvenir à vos fins. Cela vous mènera sans doute au succès...
Puis la voix changea légèrement de ton, devenant un peu plus dure...
- Par contre, je vois en vous des défauts quelque peu regrettables. Vous êtes solitaire, peu sympathique avec les autres, et toujours au bord de la dépression. Quelque peu égoïste, aussi. Vous êtes curieuse, bien trop, et vous mêlez toujours de ce qui ne vous regarde pas. Enfin, vous êtes souvent arrogante et prétentieuse.
Antigone fixa le miroir, constatant la véracité de ses propos, si c’était vraiment lui qui parlait.
Elle n’avait jamais vu les choses comme ça, mais le tableau n’était pas vraiment très flatteur.
Enfin, le miroir lui dirait ce que serait sa destinée.
Elle s’observa dans le miroir, consciente du regard de tous les autres élèves qui pesait sur elle, et attendant avec impatiente le verdict du miroir.
Elle avait de longs cheveux noirs, noués en plusieurs queues de cheval séparées. Ses yeux étaient eux aussi noirs comme la nuit, et semblaient, comme toujours, empreints d’un rayon de tristesse qu’elle n’avait jamais su expliquer. Son nez était petit et fin, et sa bouche se résumait presque à un trait, et la commissure de ses lèvres était, comme toujours, légèrement crispée, comme si elle tentait de sourire mais n’y parvenait pas. Elle avait le visage fin et pointu, assez pâle, et les joues d’un rouge soutenu.
Son cou était fin et assez long, et l’ensemble de son corps très mince, à la limite de la maigreur.
Elle était, comme toujours, vêtue d’un chemisier noir et d’une jupe de la même couleur.
Elle était, à vrai dire, plutôt triste à voir, mais elle appréciait le noir, et les opinions des autres ne lui importaient que peu.
Elle fixait ainsi le miroir, se mordant légèrement la lèvre, et attendant qu’il prenne sa décision...
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Sam 16 Déc - 17:16
Lectica 