Elena Seprensa [ Néposs ]

« Elena… Elena Seprensa ! »

La voix me fait bondir. Déjà à mon tour ? Je suis pourtant à la fin de l’alphabet… Mais la voix, visiblement, n’en a rien à faire de l’ordre alphabétique. Je me lève, tous les yeux sont fixés sur moi, certains moqueurs, d’autres inquiets. Je me fraye un chemin dans la masse de chaise, et en quelques enjambées, je suis sur l’estrade. Silence. On entend presque les mouches voler. Je fais quelques pas un peu hésitants et je me positionne devant le miroir, qui rutile doucement d’un reflet de cristal. Mon image se forme lentement sur la surface polie. Mes traits se dessinent peu à peu, longs, fins, agiles, des milliers de petits traits qui se rejoignent au centre de la glace. Une tête, un torse, des bras, pour finir mes jambes. Je plonge mes yeux dans les profondeurs glacées du miroir. Mes yeux tellement noirs, tellement obscurs, qui vous donnent des fourmillements quand vous les croisez. La nuit. La nuit se reflète dans mon regard, une nuit sans lune, sans étoiles, sombre et inquiétante.
Aussi inquiétante que celle qui a vu ma naissance. Je suis née à minuit, sous un ciel nu et orageux, dans les bras de ma mère. Je le sais, parce que je m’en souviens. Je me souviens que mes prunelles nouvelles se sont posées sur le même monde que celui que je venais de quitter. La noirceur.
J’ai passé une enfance tout à fait normale. J’étais une petite fille pleine de vie, j’avais besoin de bouger, je m’agitais tout le temps, je riais souvent, je me plaisais à faire des farces. Mes parents n’arrivaient pas à me tenir, j’étais une petite tornade dans leur univers gris et morne. Maman travaillait beaucoup, Papa n’était jamais là, je n’avais pas de frère ni de sœur, je m’en accommodais bien, j’avais des amis.
Lorsque mes parents sont morts, ma vie s’est décomposée.
Une vie alors pleine d’insouciance, une vie légère et douce, une vie calme dont je ne m’étais jamais plainte.
Je rentrais de l’école, et mes parents baignaient dans leur propre sang. Ce fut aussi simple que cela.
Le miroir me renvoie une image parfaite de mon visage crispé par la douleur. J’attends et il ne se passe rien.
Ma grand-mère me recueillit chez elle. C’était une sorcière, elle m’apprit que moi aussi j’avais des pouvoirs. Elle m’envoya à Beauxbatons le jour de mes douze ans.
J’ai douze ans !
Je commence à m’impatienter. Qu’est ce que j’attends comme une cruche devant ce miroir ? J’enroule machinalement une boucle noire autour de mon doigt fin. Mais la mèche est trop longue, tout ne tiens pas sur le doigt, même si c’est l’index.
Et là, une voix… une voix humide et glissante se met à me parler.

« Elena… Elena… Elena… »

Oui, moi aussi j’aime mon prénom.

« Elena… Tu as beaucoup de qualités. Tu es courageuse, intrépide, tu ne recules devant rien. Pourquoi cet affaissement soudain ? Pourquoi cette tristesse ? Tu n’as pas l’habitude de pleurer… «

C’est vrai, je n’ai pas pleuré lorsque mes parents sont morts

« Je suis sûre que tu peux consacrer tout ce talent et cette débrouillardise… Tu es pleine de bonne haine, de haine constructive, cette haine qui te permettra de venger tes parents, cette rage de vivre qui t’es propre… »

Je m’entête à soutenir mon regard, qui me déstabilise moi-même.

« Mais gare à ne pas trop t’emporter… je sais aussi que tu as tendance à t’énerver facilement, à tout flanquer par terre par tes crises de colère et que tu es têtue comme une mule… Je sais que dans ta tête les pensées se chevauchent, se bousculent, et si tu es intelligente, tu as tendance à laisser tes pensées t’embrouiller et à ne pas tirer meilleur parti de la situation… »

Mais comment sait-il tout ça, ce foutu miroir ? Je me mets à tripoter nerveusement un coin de ma longue robe noire, celle que Rose, ma grand-mère m’a offerte.

« Et… et alors ? » je fais d’une voix qui se veut claire et assurée mais où l’on peut discerner une trace d’impatience…

La voix disparait doucement dans ma tête. Et finalement, quelques secondes plus tard, la même voix mais beaucoup plus puissante résonne dans toute la salle :