Une odeur âcre de poussière monta aux narines d’Elena lorsqu’elle pénétra dans la pièce. Un feu ronronnait dans la cheminée, brûlant un tas de petit bois sec, et une fumée grise s’en échappait et montait dans le conduit. Elena fit quelques pas dans la boutique, et l’écho de ses souliers retentissait dans la salle en cinq fois plus amplifié. Aucun bruit, si ce n’était celui de sa respiration. Les murs étaient sombres et ornés de certificats étranges, des étagères étaient posées sur le mur du fond, elles rengorgeaient de livres et de grimoires divers. La jeune fille s’approcha du bureau, qui disparaissait sous des amas de boîtes, de feuilles de papier et de livres. Elle n’osait pas trop parler, un peu oppressée par le silence de la pièce.
Au bout d’une minute, ou deux, elle entendit des bruits de pas. Un jeune homme souriant apparut de derrière une étagère pleine de boîtes et d’écrins différents. Derrière elle, une toute petite femme, courbée et appuyée sur une canne, le visage creusé par les rides. Le jeune s’avança, il y avait de très beaux yeux bleus qui brillaient à la lumière de la lampe à huile montée en lustre. Il s’approcha d’Elena et lui serra la main, la vieille s’assit sur la chaise derrière le bureau.
« Bonjour Mademoiselle ! Vous venez chercher votre baguette ? Nous avons de plus en plus de clients, depuis quelques jours, il paraît que l’Académie Beauxbâtons a été rénovée et qu’elle a rouvert ses portes ! Vous comprenez, depuis la mort de Madame Maxime, personne ne la fréquente. Vous venez de Beauxbâtons, mademoiselle ? Ne vous inquiétez pas, nous avons énormément de baguettes différentes en stock, je suis sûre que vous allez trouver votre bonheur… »
Il prit le bras d’Elena et l’entraîna dans le fond de la boutique, où il birfuqua dans une allée plus sombre. Tous les murs étaient couverts d’étagères où étaient empilées des centaines et des centaines de boîtes allongées, d’environ trente centimètres de long. Le jeune homme sortit un tabouret de derrière une étagère et invita Elena à s’asseoir dessus, ce qu’elle fit. Il se mit à lui parler, de tout et n’importe quoi, tout en dépliant son échelle. Il monta en haut de l’étagère et prit une première boîte, qu’il descendit et donna à Elena.
« Tiens, essayez celle-là, il faut bien commencer ! Elle fait 31 centimètres et est en bois de cerisier, avec une plume de Pégase dedans »
Elena se demanda ce que tous ces détails pouvaient lui apporter, mais elle haussa les épaules et prit la boîte. Elle l’ouvrit délicatement. Au milieu du velours bleu roi, une baguette en bois verni de couleur brun cerise resplendissait. Elle la saisit délicatement entre le pouce et l’index, l’éleva à la hauteur de ses yeux, puis l’empoigna solidement. Comme elle scrutait le jeune homme de grands yeux interrogateurs, celui ci sourit gentiment, puis lui reprit la boîte et la baguette, qu’il rangea, et en sortit une autre. Bois de hêtre, 21 centimètres, œil de méduse dixit blondinet. Elena la saisit avec un peu de dégoût en pensant qu’il y avait un œil broyé à l’intérieur, mais il ne se passa pas plus de choses que la preière fois, et la jeune fille commença à se sentir un peu bête. Mais cela n’embêtait pas du tout le jeune homme, qui souriait de toutes ses dents. Il lui reprit la boite et la baguette et sortit un autre écrin.
Pendant plus de trois quarts d’heures, Elena essaya des baguettes. Elle passa par toutes les tailles, par tous les bois, par tous les contenus, du poil de géant à la dent de Galbouck. Rien, rien, rien. Blondinet, qui était totalement décontracté au début, commençait à montrer des signes d’étonnement et de frustration. Elena, elle, avait des fourmis dans les jambes. Finalement, elle finit par se lever, découragée, au bout de la énième baguette qui ne fonctionnait pas. Elle leva ses grands yeux noirs vers le vendeur et déclara sur un ton désolé et dépité :
« Tant pis, c’est pas grave. Peut être qu’il n’existe pas de baguette qui me correspond… Je vais aller ailleurs, on ne sait jamais. »
Le jeune homme se mit à paniquer, lui qui possédait avec sa vieille grand-mère toutes les baguettes inimaginables ! cela le vexait terriblement d’avoir échoué pour trouver celle d’une petite d’à peine douze ans, aux deux grands yeux aimantés. Il ne la retint pourtant pas et garda un sourire figé. Arrivé dans le hall de la boutique, il se pencha vers la vieille et lui parla à l’oreille.
Elena, elle, s’était avancée vers une étagère. Un écrin l’intriguait, il n’était pas noir comme les autres, mais rouge bordeaux. Elle l’entrouvrit, et une merveilleuse baguette s’offrit à ses yeux. Elle était brune, elle brillait d’un reflet à la voix inquiétant et superbe. Elle hésita un instant, puis la prit entre ses doigts.
« Non, pas celle là ! » fit une vois derrière elle.
Un courant d’air chaud traversa Elena, l’électrisant de part en part, du sommet du crâne à la pointe des pieds. Elle se sentit gonflée par une énergie nouvelle, inconnue jusque là, qui lui faisait un bien fou. Elle ferma les yeux, se laissa imprégner par la lumière interne qui l’envahissait. Quand elle les rouvrit, le vendeur éclatait en gestes désarticulés. Comme Elena le fixait avec de grands yeux ronds, les doigts crispés sur le manche de la baguette, il fit un petit sourire crispé et déclara :
« Cette baguette est très spéciale, elle était réservée à un autre client, qui s’appelle… Romain je crois bien, car elles ont été construites dans le même bois, elles possèdent le même contenu et il voulait avoir la jumelle de sa baguette pour son fils. Enfin bon, je vois qu’elle t’a choisie… Je te la donne, si tu veux. Cette baguette est maudite. »
Ce fut presque s’il ne poussa pas Elena en dehors de la boutique. Elena contempla la baguette dans le creux de sa paume. Elle brillait un éclat doré à la lumière du soleil. Elle la serra entre ses petits doigts. Baguette maudite ? Elle était prête à lui ôter cette connotation… Prête à tout pour la baguette qui l’avait choisie.
Dim 17 Déc - 20:26